Ce qui m’intéresse avant tout c’est ce qu’il reste après tout.
Chaque tableau est donc considéré comme une tentative. Il s’agira en effet de maintenir, de préserver, l’évident instant d’un petit dessin jusqu’au tableau. Une suite de procédés de fabrication s’enchaîne et chaque nouvelle étape est un échec potentiel. C’est dans le temps de ces déplacements que se situe la peinture, le tableau est l’étape finale.
Le dessin
- Quelques verticales, quelques horizontales, le cadre de recherche est posé. Sur cette grille, des petites choses se cherchent, récemment des boucles, pas même des arabesques, le travail s’installe, sur du A4 généralement, à l’échelle de la main donc. Les « griffonnages » projetés comme possibles seront tentés en tableau. Cette habitude sera mise à mal par les opérations à suivre.
- Une reprise en est faite sur le mur au fusain, sans aucun moyen technique de transposition. La grille est tracée à l’échelle des tableautins (35 x 24 cm), et le « petit dessin » à l’échelle du corps cette fois-ci. Effacement, redressement, s’opère une nécessaire évolution, le changement d’échelle l’implique. Un gribouillis d’un mètre cinquante n’est plus un gribouillis. La reprise de celui-ci à cette échelle est déjà une image, je tente alors de préserver cette valeur de l’instant du dessin. Je ne souhaite pas l’image. Le dessin devient ligne à ce moment.
La peinture
- Les tableautins apprêtés prennent alors leur place sur le mur. La grille prend corps et devient une structure. À ce stade, elle m’évoque la « cage à poule » des jardins d’enfants, pour ce qu’elle augure, le jeu ou les oiseaux d’Alfred Hitchcock. La ligne est transférée sur ces tableautins, à la surface. Elle est encore une fois contrainte, la mise en tableau l’implique. Un dessin mural transposé sur un tableau est une image à nouveau. La potentialité de la ligne est repêchée.
- Une fois fixé, ce dernier report au fusain est recouvert de scotch puis, de tableautins en tableautins, à l’échelle de la main à nouveau, découpé par segments de largeur constante. Il est impossible de suivre les variations du fusain. La ligne acquiert de nouveaux galbes, elle synthétise, résume, elle est la quatrième de couverture.
- Après le passage de plusieurs couches de blanc, le collant est retiré laissant apparaître en creux le dessin. Ce sillon est alors rempli de peinture. Sombre, il parcourt la surface de certains tableautins et de case en case dessine. Au premier regard ce linéament est évident, très vite c’est-à-dire tout de suite, il nous en dit l’impossibilité. Sa fluidité mais sa composition en creux, sa rapidité mais sa facture contrainte, mais son échelle, sont autant d’indices qui réfutent son immédiateté. Il nous rappelle en permanence en deçà, il transporte la charge de sa fabrication.
Le tableau
C’est par la couleur que le tableau arrive enfin. Ici pas de règle, des choix. Les éléments de la grille restés inoccupés, peuvent désormais devenir des monochromes. Ils proposent un nouveau regard, un autre temps, chaque couleur est un point de ralentissement, d’arrêt, d’accélération. La grille devient modulaire et dynamique, elle propose le jeu, et comme dans tout jeux, l’intérêt réside au-delà des règles. Cette dernière opération est donc des plus contradictoires et c’est elle qui fait le tableau : par la couleur et l’expérience que chacun en fait, maintenir à la surface, au présent donc, le dessin, le faire tenir alors même qu’il porte cette charge des constructions, c’est une vision comme différée en permanence.
La peinture est un véhicule, lent.
pour le catalogue d’exposition de la couleur, Geoffroy Gross, 2011.